C’est dans une salle multimédia bondée du collège d’Aigueperse, samedi 23 mars 2019, qu’Olivier Paradis, président de l’Association culturelle d’Aigueperse et ses environs (ACAE), présenta sa conférence sur les voies antiques d’Auvergne. Celle-ci fut non seulement l’occasion de faire le point sur les connaissances concernant les tracés d’anciennes voies romaines qui traversaient la région, mais elle permit de montrer les éléments méthodologiques utiles à la localisation d’autres chemins antiques pouvant être aujourd’hui oubliés.

La lecture des anciennes cartes, les informations déduites de la toponymie, l’étude des photos aériennes mais aussi, et surtout, les observations sur le terrain doivent être assemblées et mises en regard pour comprendre l’organisation des routes antiques.

Première et principale caractéristique de ces voies est qu’elles sont généralement rectilignes. Bien sûr, un tel tracé détermine le chemin le plus court pour passer d’un point à un autre, mais, et ce n’est pas sans intérêt de le noter, il présente également l’avantage de réduire le nombre d’occasions, pour les attelages de l’époque dont les trains avant des chars étaient fixes, d’avoir à négocier des tournants difficiles voire hasardeux.

Les voies les plus anciennes datent de la préhistoire. Se déplaçant avec leurs troupeaux, les hommes, à force de piétiner les mêmes parcours, commencèrent à marquer au sol de véritables sentiers. Par la suite, les peuples de Gaule en améliorèrent les principaux, jusqu’à les rendre peu à peu carrossables et en faire de véritables voies pour faciliter le commerce entre peuplades voisines. En effet, depuis des temps immémoriaux les hommes ont traversé notre région pour échanger des denrées. Ils le faisaient sur ces chemins, à pied, mais aussi en caravanes de mules ou de chevaux, mais aussi avec des attelages.

Dès lors, on peut affirmer que dès l’époque gauloise, apparurent les voies principales s’efforçant d’aller le plus directement possible d’une ville à l’autre. De même, un réseau de voies secondaires reliait les bourgs, complétés par des chemins d’accès aux villages et aux champs. Mais seuls les grands axes étaient entretenus : coupes dans les taillis, empierrements, fossés, constructions de ponts et aménagements de gués. Le nombre important de ponts expliquerait d’ailleurs la fréquence du patronyme « Dupont », nom très répandu dans notre pays.

Les voies publiques avaient leur entretien et leurs améliorations financés par l’Empire, alors que les chemins vicinaux l’étaient, au plan local, par les « pagi » (pagus a donné le mot pays, plus tard la paroisse) équivalent d’un arrondissement et les voies privées par leurs propriétaires.

Au loin, la butte de Montpensier en point de repère, quelque part entre Denone et Biozat, sur la voie venant de Vichy.

Certaines de ces voies n’ont pas complètement disparu. Olivier Paradis rappela que nous en empruntons encore, de nos jours, les tracés. C’est le cas de portions de la route d’Aigueperse à Vichy ou de notre Grande rue d’Aigueperse descendant du « col » de Montpensier près de la butte du même nom. D’autres tronçons sont toujours conservés sous forme de chemins d’exploitation agricole ou, en sous-bois, dans la forêt de Montpensier.

Trois voies principales traversaient l’Auvergne. La première, la via Agrippa suivait un axe est-ouest, passant par Lyon et Clermont. La seconde venait d’Espagne à destination de l’Allemagne et la troisième était la voie terrestre joignant la Méditerranée depuis la région de Nîmes jusqu’au bassin parisien.

La voie Clermont-Autun à Roussel, à proximité d’Aigueperse, au pied d’une « Garde », butte de surveillance.

Comme les cartes géographiques n’existaient pas, il fallait choisir des repères. Les points culminants des trajets servaient, en quelque sorte, de « phares » vers lesquels orienter la marche. C’était le cas de la butte de Montpensier qui émergeait, visible de loin dans la plaine de Limagne. L’ayant atteinte, de son sommet les voyageurs cherchaient alors le repère suivant. Le puy de Dôme se trouvait ainsi souvent situé dans l’axe de ces voies. Tout au long du chemin, apparurent fréquemment des toponymes tels que « maison blanche » ou « maison rouge », servant, en quelque sorte, de balisages. Plus tard on verra aussi des lieux dits « croix blanche », « croix rouge ».

Au nord de Riom, on peut déterminer, grâce aux connaissances actuelles, cinq voies principales : quatre en provenance d’Augusto Nemetum (Clermont) :

– en direction de Poitiers, en passant par Saint-Bonnet, Saint-Hilaire-la-Croix et Néris-les-Bains

– en direction de Chantelle, en passant par Saint-Myon et Artonne

– en direction de Gannat et au-delà (on parlera de « chemin Gannatier »)

– en direction de Vichy (Aquae Calidae – Vichy), en passant par Saint-Bonnet, Aigueperse et Montpensier.

La 5ème voie est transversale, venant de Poitiers, passait par Artonne, Thuret et le port de Ris pour traverser l’Allier.

On voit l’importance que put notamment jouer Artonne, au croisement de plusieurs de ces importantes voies antiques.

La base de la croix Saint-Martial à Serbannes  est une colonne milliaire anépigraphe.

Tout ce réseau de l’époque gauloise peut expliquer comment Jules César put déplacer relativement facilement et rapidement ses légions à travers la Gaule. Des bornes dites milliaires, disposées le long des voies indiquaient les distances par mille pas, par rapport à la capitale de province, ici, Augusto Nemetum, servaient également à se repérer dans le paysage. Une très belle borne, datée de l’empereur Claude (année 46 de notre ère) était placée au sud d’Aigueperse, au niveau du rond-point de l’actuelle zone industrielle. Elle est conservée au musée Bargoin de Clermont-Ferrand. Quatre autres bornes au moins jalonnaient le trajet entre Aigueperse et Vichy. L’une d’elles est aujourd’hui placée devant l’église de Biozat. Néanmoins, il faut noter que l’unité de mesure des distances est longtemps restée dans notre pays la lieue (unité gauloise) et non le mille (romain).

Ces voies antiques pouvaient aussi servir de frontières administratives entre différent territoires avec la présence fréquente qui subsiste de nos jours du toponyme « les littes » sur leurs bordures.

Ces voies antiques souffrent aujourd’hui d’un manque de considération du fait de manque de connaissance de ces marqueurs du paysage. L’Association culturelle souhaite mieux localiser ces parcours anciens sur son territoire et, à cette fin, mettre en place un groupe de travail, ouvert à tous les volontaires.

Cette conférence attira un nombre exceptionnel d’auditeurs dont certains venaient de loin, dans la belle salle du collège d’Aigueperse. Nadine Moulin, secrétaire de l’Association culturelle, remercia, au nom de l’auditoire, Olivier Paradis ainsi que l’équipe des bénévoles ayant organisé l’événement, avant d’inviter les présents à venir échanger autour d’un verre de l’amitié.

Texte : N. Moulin ; photos : L. Crochet, C. Genest