Samedi 19 octobre, l’Association culturelle d’Aigueperse et ses environs (ACAE) a invité Philippe Carré à présenter le fruit de ses recherches sur les interventions royales en Auvergne et la recomposition féodale au XIIIe siècle entre Saint-Pourçain et Montpensier. Membre de l’ACAE, le conférencier est aussi co-fondateur, avec Jean-François Glomet et Hervé Camus, en 1997, de la dynamique association d’histoire locale Azi-la-Garance de Broût-Vernet.
Devant un amphithéâtre d’environ 90 auditeurs, l’orateur a illustré comment le Bourbonnais s’est peu à peu constitué par le patient assemblage des pièces d’un puzzle fait d’innombrables petites seigneuries locales jusqu’à constituer le riche duché bourbonnais qui a marqué ses frontières jusqu’à Montpensier.
La présentation débute en 1095, alors que Philippe Ier, descendant d’Hugues Capet, est roi de France. Le domaine royal va seulement, à cette époque, de Senlis à Orléans. C’est l’année où le pape Urbain II prêche la première croisade à Clermont et, au plan local, rattache l’abbaye de Mozac à celle Cluny, décision confirmée par le roi. En 1101, le vicomte de Bourges part pour la croisade et, pour financer son expédition, il vend ses biens au roi de France. Pour ce dernier, cette pratique surprenante mais pourtant courante constitue le point de départ de l’élargissement de son domaine, et surtout  pour ses interventions politiques et militaires plus au sud.
Portion de l’ancien chemin français près d’Escolles.
Au nord de l’Auvergne, la seigneurie de Bourbon s’est créée aux dépends de ses voisins, mais certains lieux stratégiques lui échappent encore. C’est le cas de Saint-Pourçain qui relève alors des moines bénédictins. Ils y ont le droit de justice. Or, cette ville constitue un carrefour commercial important marquant le départ du chemin français vers Clermont et avec son port, le plus en amont sur la Sioule. Vin, céréales, bois d’œuvre et de tonnellerie s’y échangent ou s’y expédient. Le sire de Bourbon veut forcer les religieux à traiter avec lui, au besoin en recourant à la force. Il n’hésite pas à s’en prendre à leur patrimoine, ce qui provoque l’intervention du roi Louis VI. Ce dernier le capture à Germigny, mais comprend tout l’intérêt à s’en faire un allié aux portes de l’Auvergne. Cette alliance des Bourbons avec la couronne de France se poursuivra sans aucune ombre pendant plus de trois siècles.

Principaux fiefs entre Saint-Pourçain et Gannat

Un puzzle de petits fiefs est composé.

Pour une partie de leurs possessions, les sires de Bourbon sont les vassaux des comtes d’Auvergne. Dans ce territoire, on observe un émiettement des seigneuries dû aux héritages résultant du droit d’aînesse relatif : chaque enfant a droit à sa part d’héritage même si elle est inégale, d’où un fractionnement cumulatif des fiefs à chaque génération. Les seigneurs se retrouvent donc à posséder des terres dispersées et vassaux de différents suzerains. Par ailleurs, les fondations religieuses ont également contribué au morcellement des territoires. C’est, par exemple, le cas de la fondation de l’abbaye de Saint-Gilbert qui a amputé la seigneurie d’Escolles (au nord de Gannat) d’au moins vingt pourcent de sa superficie.
Château de Billy.
Dans une région du nord de l’Auvergne comprenant une Limagne encore largement marécageuse, cinq grandes seigneuries se partagent le territoire utile : celui hors d’eau et à proximité des voies de communication. Deux sont ecclésiastiques : celles de l’évêque de Clermont et du chapitre cathédrale de Clermont. Trois sont laïques : celles du comte d’Auvergne, du dauphin d’Auvergne et du sire de Bourbon.
Intervenant pour défendre l’Église en 1122 face au comte de Clermont, les troupes royales s’emparent de Pont-du-Château. Cela n’empêche pas le comte d’Auvergne de récidiver dès 1126. Le comte doit toutefois renoncer à son ambition, mais il n’aura de cesse de lancer de nouvelles tentatives afin de conforter ses revenus.
Plus tard, c’est le roi Philippe Auguste le conquérant qui renforce ses positions en Auvergne en prenant la défense de divers établissements religieux. L’occasion lui en est donnée à Cusset en 1184, Escurolles en 1189, Ennezat en 1190 et Billom en 1191.
En 1210, le comte d’Auvergne, Guy II, s’empare du prieuré de Marsat et de l’abbaye de Mozac. Or, depuis 1165, ces lieux sont sous protection pontificale. Malgré les ordres du roi, le comte d’Auvergne refuse de se retirer. Le roi cherche alors des alliés, à commencer en s’adressant à sa famille. Du côté des vassaux du comte d’Auvergne, beaucoup hésitent à combattre à ses côtés et font le choix de suivre le roi, mais ils le feront sous le prétexte de défendre l’Église. Le roi fait également appel à des mercenaires. On dit que cette armée royale a regroupé jusqu’à 5000 hommes. Elle s’empare de Riom, Tournoël, Orcet, Nonette, Pont-du-Château, Lezoux, Antérioux, Dallet, etc. Au total, pas moins de 120 châteaux tombent devant cette armée. Seul celui de Busséol résiste. En 1215, Guy reconnaît sa défaite. Les terres royales d’Auvergne sont alors créées et les rapports féodaux sont redéfinis.
Guy de Dampierre, sire de Bourbon, qui commandait l’armée royale est nommé connétable et chargé du contrôle militaire de la terre d’Auvergne. Le roi poursuivant son intention de contrôler les voies de communication ne touche pas à l’ouest de la Sioule qui appartient à son fidèle vassal, le sire de Bourbon. L’est de l’Allier est contrôlé par des alliés du sire de Bourbon. Le roi accorde sa protection à Varennes et à Cusset. Il reste, entre Saint-Pourcain et Gannat, à s’assurer le contrôle du chemin français. Le sire de Bourbon exige l’hommage des seigneurs d’Escolles, de Sauzet et de Vendat ; il traite avec l’abbaye de Saint-Gilbert. En 1285, les moines de Saint-Pourçain consentent à partager avec lui toutes les justices… après trois quarts de siècle de contentieux.
Château de Chantelle.
Le sire de Bourbon établit ses officiers à Gannat, mais il doit arrêter sa politique d’annexions devant Montpensier, car il se trouve là devant le fief d’un cousin du roi. Par ailleurs, les églises de Vensat, d’Effiat et de Brugheas de même que la mouvance de ce dernier lieu relèvent du chapitre cathédral et s’intercalent entre les possessions des Montpensier et des Bourbons. Les religieux sont alors confirmés dans leur protection et les seigneurs rendent hommage au roi ou au sire de Bourbon. De nombreuses chartes de franchise protègent les gens des bourgs pour les activités de commerce et les transactions. C’est le cas à Gannat et à Aigueperse. Les mesures de paroisses sont créées.
Château de Gannat.
On voit que, sur cette longue période, le roi n’a jamais attaqué de front pour élargir son domaine. Il n’a jamais provoqué les seigneurs. Il a saisi des opportunités. Il est intervenu quand les seigneurs se mettaient en tort. Les seigneurs locaux désormais rendent hommage au roi ou au sire de Bourbon ; les conditions du peuple et l’économie locale se trouvent améliorées par l’octroi de chartes de franchises.
Peu à peu, soulignant les grandes étapes de cette conquête royale, l’orateur a conduit son auditoire à mieux comprendre l’ajustement géopolitique de ces anciennes provinces que sont le Bourbonnais et l’Auvergne.
Après quelques questions de l’auditoire, Olivier Paradis, président de l’ACAE, remercia l’orateur avant d’inviter les présents à partager leurs impressions autour d’un pot de l’amitié.
Prochaine conférence : samedi 16 novembre à 16h (voir détails sur ce site).
Texte : N. Moulin ; photos : P. Carré, L. Crochet, C. Genest, N. Moulin, cartes postales anciennes ; carte : P. Carré.