Si beaucoup ont entendu parler du repli à Clermont de l’Université de Strasbourg, ce ne sont généralement et au mieux que quelques bribes de cet événement des années de guerre que l’on a retenu. Jean-Philippe Moulin s’est attelé pendant plus de neuf ans à son étude et vient de publier le fruit de ses travaux aux éditions L’Harmattan – une somme de près de 400 pages.

Olivier Paradis présente l’orateur, Jean-Philippe Moulin

Invité par l’Association culturelle d’Aigueperse et ses environs (ACAE), l’auteur a passionné son auditoire en illustrant les raisons et les conséquence sur la ville de Clermont de ce transfert d’une ampleur extraordinaire qui impliqua non seulement le passage d’une grande partie du personnel des facultés strasbourgeoises – enseignants, personnels administratif et technique, et des étudiants alsaciens et lorrains non appelés sous les drapeaux, mais aussi le transport des archives, des livres et autres documents, de laboratoires entiers avec leur matériel d’expérimentation, leur matériel médical, etc.

Cette année encore, courant novembre, des commémorations ont lieu à Clermont comme à Strasbourg.

Il fallait une vue synthétique de ce transfert et de son impact sur le développement des écoles supérieures clermontoises alors encore balbutiantes. L’orateur a traité ces différents sujets, donnant une vue d’ensemble de la venue en Auvergne de cette illustre université alsacienne dans son contexte des événements nationaux, internationaux mais aussi vichyssois et clermontois ayant émaillé ces années d’occupation. En relatant cette partie mal connue de l’histoire de France autant que de celles des deux régions, Jean-Philippe Moulin, par ses recherches s’est véritablement assuré que ce sujet ne tombera pas dans l’oubli.

L’auditoire dans la salle multimédia du collège Diderot d’Aigueperse.

Le conférencier détailla en particulier les plans de l’état-major français qui, anticipant sans doute des tentations de revanche allemande après l’effondrement des armées prussiennes, prévoyaient dans ses détails dès 1923 l’organisation des évacuations des populations d’Alsace et de Lorraine. Parallèlement, un plan de repli de l’université strasbourgeoise fut également préparé planifiant les moyens de transport, les trajets et, plus généralement, l’ordonnancement de cet énorme déménagement.

Suite à l’annexion par le Reich de l’Autriche – l’Anschluss – et à la déclaration de guerre par le Royaume Uni et la France, les plans d’évacuation d’une population d’environ 400 000 alsaciens et lorrains vers des départements du Sud-Ouest et du centre de la France furent mis en œuvre, à commencer par le départ des populations juives plus particulièrement menacées par les nazis.

UN DÉMÉNAGEMENT MASSIF DE STRASBOURG VERS CLERMONT – septembre 1939

Avec la menace croissante d’une attaque allemande, les pouvoirs publics décidèrent au début de l’été 1939 de dévoiler les plans de transfert aux doyens des sept facultés de Strasbourg. Cette université est, à l’époque, l’une des plus importantes d’Europe avec 175 enseignants et 3100 étudiants.

Le 2 septembre 1939, l’évacuation commence. Sur les 175 000 habitants de Strasbourg, 120 000 partent. Le repli de l’université de Strasbourg ne concerne pas seulement les 2000 étudiants qui vont se déplacer ainsi que la plupart de leurs professeurs, mais aussi le personnel administratif et technique, les collections, les documents et la bibliothèque, les matériels de laboratoire, etc. Au total, il faudra 200 wagons pour compléter ce transport.

Le 22 novembre 1939, l’université de Strasbourg fait sa rentrée solennelle dans ses locaux de l’avenue Carnot. À cette époque, Clermont ne dispose que de quelques « écoles » de niveau universitaire. Le recteur n’est d’ailleurs pas habilité à délivrer des diplômes de doctorat. La première année universitaire est difficile. Les étudiants durent, pour la plupart, loger chez l’habitant.

L’offensive du 10 mai 1940 marque le début de l’exode massif des populations belges, néerlandaises, luxembourgeoises et du nord de la France. Les troupes allemandes atteignent le 19 juin Aigueperse et le 21 juin 1940 Clermont. Le 18 octobre, l’Alsace et la Moselle sont annexées, ce qui est contraire aux termes de l’armistice signé quelques mois plus tôt… 40 000 alsaciens et 100 000 mosellans restés dans leur régions sont expulsés et remplacés par des colons allemands. Ce territoire ne subit pas une « germanification », comme après 1871, mais une nazification. Les fonctionnaires doivent prêter serment à Hitler, les médecins doivent adhérer au parti nazi, etc. Le service militaire allemand est imposé aux jeunes gens qui n’ont pas pu partir. Ils sont envoyés sur le front de l’Est et le Reich décide de fermer les locaux de ce qui subsiste à Strasbourg de son université. Du personnel nazi venu d’Allemagne s’installe dans la région. En même temps, un quota maximum de 3% de juifs est imposé aux universités. Ainsi des enseignants ne touchant plus de salaires sont affectés à d’autres tâches ou sont payés clandestinement.

En novembre 1941, l’Allemagne crée une université allemande (ou plutôt nazie) à Strasbourg (Reichsuniversität) avec environ 100 professeurs et invite sans succès les étudiants déplacés en Auvergne à revenir. Lors de la séance d’ouverture, les étudiants présents ainsi que le recteur sont en uniforme militaire.

Paul Collomp, doyen de la faculté des lettres de Strasbourg.

Le 11 novembre 1942, l’Allemagne envahit la zone sud. Désormais, les professeurs qui ont quitté Strasbourg sont accusés « d’abandon de postes » et les étudiants sont qualifiés de « déserteurs ». La menace est sérieuse. Le 25 juin 1943, une rafle est menée dans le foyer des alsaciens-lorrains, la Gallia, rue Rabanesse à Clermont-Ferrand et, le 25 novembre, a lieu la grande rafle dans les locaux de l’université. C’est une opération d’envergure menée par la Feldgendarmerie allemande, la Gestapo et des soldats de l’armée de l’air. Un tri est effectué et beaucoup, dénoncés comme Résistants, sont déportés. Mais les Allemands ne trouvent ni armes, ni munitions. Cet événement connut un retentissement qui toucha même la presse internationale qui qualifia les occupants allemands de « barbares ». Paul Collomp, historien spécialiste de l’Égypte hellénistique et doyen de la faculté des lettres de Strasbourg, fut assassiné lors de cette rafle.

Avec l’approche des troupes de Libération remontant d’Italie et de Provence, en 1944 les autorités allemandes interdirent à l’université de Strasbourg désormais clermontoise de faire sa rentrée, mais dès le 27 août 1944 Clermont est libéré. L’histoire se conclut avec, le 22 novembre 1945, la rentrée solennelle dans ses locaux alsaciens de l’université de Strasbourg.

Le conférencier nota que ce repli strasbourgeois eut un effet bénéfique sur le développement de l’université de Clermont et sur la qualité de ses enseignements.

Après quelques échanges avec un auditoire très intéressé par cet épisode de la Seconde Guerre mondiale, Olivier Paradis, président de l’ACAE, remercia au nom des présents l’orateur et invita les présents à partager un pot de l’amitié.

 


L’ouvrage de Jean-Philippe Moulin :
Le repli de l’université de Strasbourg à Clermont-Ferrand de 1939 à 1945 – Un épisode dramatique de la IIe guerre mondiale, Collection « Historiques », L’Harmattan.
Texte : N. Moulin, M. Debatisse
Photos : C. Genest
19 novembre 2023