En bas de ville d’Aigueperse, au coin du pont du chemin de fer, la dernière trace encore présente du transport ferroviaire de marchandises sera bientôt la seule plaque « Rue de la Petite Vitesse ».

Implantation standard des Petites Vitesses. Ici, au fond à gauche, dans l’ancienne gare de Varennes-sur-Allier d’après une carte postale ancienne (coll. privée).
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Après la Seconde Guerre mondiale, le transport routier a peu à peu grignoté la part du chemin de fer dont l’âge d’or remonte au XIXe siècle. C’était l’époque où la plupart des trains étaient formés à la fois de wagons de voyageurs et de wagons de marchandises. Dans les gares, les horaires prévoyaient de laisser du temps pour des manœuvres afin de détacher ou de prendre des wagons. On observait alors la locomotive qui remontait le long de la rame, traînant ces wagons vers les quais réservés aux chargement et déchargement des marchandises.

Pendant ce temps, le personnel reconnaissable à sa tenue marquée des signes de la Compagnie de chemin de fer (le PLM à Aigueperse), en bout des rames, chargeait caisses, vélos, valises et autres colis devant être remis à leurs propriétaires dès leur arrivée à destination.  Les voyageurs acceptaient ces arrêts dans les gares, qu’elles soient sur les grandes lignes ou sur les lignes secondaires, voire même en des points de correspondance avec les nombreuses voies étroites de « l’économique ».

Au fond, à droite, peu avant sa destruction en 2009, le dernier hangar de la Petite Vitesse d’Aigueperse. Au premier plan, Alphonse Lasnier, ancien policier municipal d’Aigueperse (photo Sparsae).

Très vite, dès le milieu du XIXe siècle, le train, moyen rapide et bon marché, se chargea du transport d’à peu près tout ce que le commerce et l’administration publique échangeait entre les régions et, notamment, entre la campagne et les villes : colis de toutes sortes, produits agricoles en sac, en vrac, en tonneaux, en bidons, mais aussi animaux vivants, machines diverses, pièces de rechange, pierres de taille, etc.

La gare d‘Aigueperse disposait alors de 30 à 40 employés pour les manutentions, car beaucoup de marchandises étaient expédiées, mais aussi y arrivaient » (cf. Georges Gagnevin « Les marchés d’Aigueperse », Sparsae, n°43, 1999, p.15-18). En effet, la présence d’une main d’oeuvre locale assez pléthorique qui quittait l’agriculture, facilitait le transfert manuel des denrées.

Ancienne grue de quai d’Aigueperse (levage maximum 6 tonnes).

Une carte publicitaire ancienne montre sur les quais de la gare d’Aigueperse des alignements de machines agricoles en attente de chargement sur des wagons-plats à ridelles. Ces semoirs en partance étaient fabriqués par les Ateliers de Limagne, autrefois installés au fond de la place Saint-Joseph, sur le boulevard de Coreil. Cette importante entreprise perdura jusque dans les années 1980.

Sur ces quais, pour faciliter les transbordements, se trouvait une grue tournante, en fonte, que deux agents faisaient fonctionner pour soulever et transférer des colis allant jusqu’à 6 tonnes. Il semblerait qu’il n’y avait qu’une seule grue sur le quai de la Petite Vitesse. Pour les grains (les blés meuniers de Limagne étaient très réputés : variétés Capitole, Etoile de Choisy, etc.), productions majeures de la région, « les sacs étaient déposés au quai de la gare par le commerçant. Le brigadier de la gare comptait les sacs, mettait une marque et les employés de la gare chargeaient les wagons et plombaient les portes ». 

Face à un trafic d’autant plus important à Aigueperse que la nouvelle ligne St-Germain-des-Fossés-Vichy-Riom via Randan n’ouvrira que dans les années 1920, le service des marchandises ne put se suffire de quais découverts sur de simples terre-pleins accessibles par une rampe d’accès depuis la cour des marchandises. Les produits fragiles ou de valeur devant être protégés des vols et des intempéries, des hangars à quais couverts furent construits sur des modèles standards que l’on retrouvait, quasiment à l’identique, sur à peu près tout le territoire français. Aigueperse connut ces deux types de quais : ouverts et couverts.

(Carte postale ancienne, coll. privée)    

En 2009, un incendie détruisit la halle couverte qui fut ensuite entièrement démolie. Celle-ci, comme ailleurs en France, était qualifiée de « Petite Vitesse », car les colis non urgents y étaient mis en dépôt jusqu’à ce qu’un wagon puisse être suffisamment rempli pour être attaché à une rame destinée à telle ou telle destination via, ou non, une des grandes gares de triage qui émaillaient les principaux nœuds ferroviaires du pays. Ces expéditions peu urgentes bénéficiaient d’un tarif réduit, le tarif de la Petite Vitesse.

Quai surélevé pour le chargement à niveau des wagons et traverses, dernières traces de la Petite Vitesse (photos et montage Sparsae, mars 2022).

Malgré la présence d’un fort trafic de produits agricoles, à commencer par les pommes de terre et les céréales, animé par plusieurs entreprises dynamiques telles que les importantes maisons de négoce Gagnevin et Jourdan, connues au plan national et même international, et la Coopérative agricole d’Aigueperse, inaugurée en 1936, peu à peu l’expédition ferroviaire au départ d’Aigueperse périclita.

Jour mémorable pour l’agriculture locale, celui de l’inauguration, en 1936, de la Coopérative agricole d’Aigueperse (photo X, arch. ACAE).

Aujourd’hui, en bordure Sud de la gare, entre les bâtiments de la coopérative et les quais de voyageurs encore en service, un observateur intéressé par les recherches « archéologiques » peut encore distinguer la trace d’un ancien quai découvert, avec sa plateforme à hauteur des planchers des wagons. Ses murets restent longés de successions de ces traverses de bois caractéristiques des voies de chemin de fer. Là, autrefois, les wagons de marchandises attendaient d’être chargés par des équipes de manutentionnaires payés à l’heure. 

Ces dernières traces d’un dynamique trafic de marchandises vont sans doute bientôt disparaître, car est envisagée la création d’un parking sur cette même zone couvrant l’ancienne cour des marchandises, ses quais de chargement et ses voies.

Qui sait ? Faute de traces de quais et de voies ferrées, sous le parking trouvera-t-on un jour, en sous-couche, l’ancienne voie romaine vers Augustonemetum (Clermont) ? 

P.S. On pourra lire l’histoire de la construction de la ligne Paris-Clermont et de la gare d’Aigueperse dans l’article de Patrick Chassaniol-Alexandre, « Aigueperse, une gare de Limagne dans l’histoire ferroviaire du XIXe siècle », Sparsae, n°80, 2017, pp. 17-32.
Texte : M. Debatisse, N. Moulin, O. Paradis
Photos : Sparsae et archives ACAE
Mercredi 13 avril 2022