Mme Baudet-Pommel.
À l’invitation de l’Association culturelle, la conférence de Martine Baudet-Pommel, professeur honoraire des universités, a présenté un personnage né en Limagne qui peut être qualifié à double titre d’ambassadeur extraordinaire. En effet, l’Auvergnat Jean de La Forest fut le premier ambassadeur du royaume de France à Constantinople, auprès de Soliman le Magnifique avec lequel François Ier désirait conclure une alliance pour faire face au puissant Charles Quint, mais aussi pour favoriser le commerce de la France en Méditerranée.

DES TENSIONS POLITIQUES

Cette importante ambassade prend place entre trois protagonistes principaux : François Ier, roi des France depuis 1515, Charles Quint, empereur du Saint Empire romain germanique depuis 1520 et Soliman le Magnifique, sultan de l’Empire ottoman depuis 1520. L’expédition à Constantinople de l’ambassadeur du roi de France a pour objectif la recherche d’une alliance franco-ottomane alors que le royaume de France est encerclé par les terres de Charles Quint. Soliman le Magnifique règne quant à lui sur le reste du bassin méditerranéen, de l’Afrique du Nord aux Balkans, en passant par l’est méditerranéen et il n’a de cesse d’attaquer la partie orientale du Saint Empire.
L’oratrice rappela aussi les rivalités qui existaient alors pour conquérir la prépondérance continentale de l’Europe. François Ier recherche des alliances avec tous les souverains d’Europe comme, par exemple, avec Sigismond de Pologne ou encore avec Jean de Hongrie, vassal du sultan en 1528, et même avec le Pape. Pour sa part Charles Quint souhaite faire alliance avec les Perses contre qui combat Soliman le Magnifique.

Suite à la défaite de Pavie en février 1525, François Ier étant fait prisonnier par Charles Quint et conduit à Madrid, les tensions entre le royaume de France et l’empire atteignent leur paroxysme
En 1531, tandis que ses troupes assiègent Vienne en Autriche, Soliman accorde à François Ier 100 000 pièces d’or afin qu’il conclut une coalition contre Charles Quint avec des états allemands et l’Angleterre, cette alliance visant à prendre à revers les États que détiennent les Habsbourg dans le centre de l’Europe.
Cette même année, Antoine de Rincon, diplomate castillan recruté par François Ier, part à Belgrade pour une entrevue avec Soliman. Deux ans plus tard, il rencontre à Alger le corsaire ottoman Barberousse que Soliman met à la disposition du roi de France pour attaquer Gênes et Milan, les deux grandes puissances commerciales de l’époque. En parallèle, François Ier voit des représentants du sultan dans la ville du Puy.
En 1534, les flottes ottomanes s’emparent de Tunis mais doivent abandonner la ville dès l’année suivante suite à la contre-attaque des armées de Charles Quint.

UN AUVERGNAT MÉCONNU

Blason de la seigneurie de Bulhon.
L’ambassadeur Jean de La Forest est de nos jours méconnu[1]. Pourtant son rôle dans la diplomatie internationale est indéniable. Il est né vers 1490 dans une famille de la chevalerie auvergnate de Limagne. Ses ancêtres ont fait construire le monastère de Lavesne (aujourd’hui à Crevant-Laveine). Il étudie à Rome, Venise et Florence où il est l’élève de Jehanus Lascaris, bibliothécaire de Laurent de Médicis. Il parle plusieurs langues, le grec ancien et moderne, l’italien et des langues orientales.
En 1534, Jean de La Forest passe du service du chancelier de France Antoine Duprat à celui du roi François Ier qui l’envoie en 1535, comme premier ambassadeur permanent auprès de Soliman le Magnifique. Il faut toutefois souligner que son ordre de mission du 13 février 1535 ne précisait ni la destination, ni le destinataire. Son premier déplacement dans cette fonction le conduit à Alger où il rencontre Barberousse. Il lui présente le projet du roi de France d’attaquer la Corse et la Sardaigne pour faciliter la prise de Gênes.

L’ACCRÉDITATION AUPRÈS DE SOLIMAN

Un second déplacement mène Jean de La Forest à Tunis où Barberousse l’attend pour l’escorter jusqu’à Constantinople. Charles de Marillac, un autre voisin d’Auvergne, fait partie du voyage. Ils arrivent le 8 juin 1535 mais Soliman et le Grand Vizir sont absents, partis en guerre contre les Perses. Ils rentrent le 8 janvier 1536 et c’est alors que Jean de La Forest est accrédité comme ambassadeur le 5 avril. Un traité de paix, de commerce et d’amitié est alors signé. Il est connu sous le nom de « capitulations ». Grâce à ce texte, les marchands français sont exemptés de taxes pour leur commerce dans la région. Toutes personnes et tous biens sont libres de circulation et tous les chrétiens qui commercent en Méditerranée doivent le faire sous pavillon français.
Les portraits de François Ier, Charles Quint et Soliman le magnifique présentés par la conférencière.
Jean de La Forest présente également le projet du roi de France de prendre possession de l’Italie en attaquant par le nord alors que Soliman le fera par le sud. Soliman fait alors construire 150 galères. Les Français en construisent 40. Fin mai 1537, le sultan, ses deux fils et l’ambassadeur de France quittent Constantinople avec 160 galères. Les Français n’étant pas arrivés fin juillet, Soliman ordonna pourtant d’attaquer Corfou malgré les réticences de Jean de La Forest. Mais c’est un échec.
Une bonne partie de l’armée est alors contaminée par la peste. Jean de La Forest, malade, meurt le 9 septembre 1537. Soliman nomme alors Charles de Marillac pour le remplacer jusqu’à la fin du mandat.
Les troupes de François Ier qui avaient été retardées par des combats au Nord du royaume, notamment dans les Flandres, n’arrivent que le 10 septembre. Mais il est trop tard. Soliman a décidé de repartir pour Constantinople.
Malgré cet échec, cette alliance permettra de maintenir des relations diplomatiques entre la France et l’Empire ottoman jusqu’en 1923. On peut affirmer que Jean de La Forest a réussi sa mission qui donna à la France des avantages autant politiques que commerciaux, permettant notamment aux Français l’accès à de nombreux ports sous autorité ottomane.
Olivier Paradis, président de l’ACAE, remercia chaleureusement la conférencière pour son exposé qui touche très directement notre région du Nord Limagne. Les participants purent ensuite partager le traditionnel pot de fin de conférence.
Texte : Sparsae. Photos : C. Genest
19 février 2024
Catherine Crochet et Pierre Duprat au stand des publications de l’ACAE.
[1] La revue Sparsae n°68 contient un article sur Jean de La Forest par Marielle Kalus.